C’est au plus près de l’histoire de France que Macha Korobkina, architecte du patrimoine, trouve ses ressources, inspirations et respirations. Diplômée de l’École de Chaillot en 2019 et aujourd’hui spécialisée dans la restauration des monuments historiques, Macha s’engage, aux côtés d’équipes pluridisciplinaires, au profit de ce patrimoine commun.
Ses expériences les plus marquantes ?
La restauration des décors intérieurs de la Colonne de Juillet, place de la Bastille à Paris, aujourd’hui ouvert au public après presque 30 ans de fermeture ; mais aussi le vestibule de la Comédie‐Française conçu sous l’ordre de l’architecte Victor Louis en 1790 ; la Petite Écurie du Roy à Versailles construite par Jules‐Hardouin Mansart en 1681 ou bien encore des hôtels particuliers datant du XVIème ou du XIXème siècles, classés au titre des monuments historiques.
Un fil qui semble s’être tout naturellement déroulé pour Macha puisque, au gré de rencontres, d’un désappointement dans l’architecture d’intérieur et d’une opportunité dans la restauration, elle trouve sa place. L’évidence, éclatante, est là. Sa passion pour l’architecture du patrimoine naît.
Rencontre avec Macha Korobkina, architecte du patrimoine
Macha, peux‐tu nous expliquer la différence entre un architecte et un architecte du patrimoine ?
Selon moi, c’est principalement en termes de connaissances de l’histoire de l’architecture, des métiers d’art et des techniques traditionnelles de construction que s’établit la différence. Cet éventail de savoir‐faire nous permet de soigner le monument s’il souffre de dégradations et de désordres, d’identifier et de révéler ses valeurs esthétiques et historiques, puis probablement de lui insuffler – dans la mesure du possible et dans le plus grand respect – une vie nouvelle à travers le projet d’aménagement et d’adaptation aux nouveaux usages et réglementations. Notre objectif est de conserver et de mettre en valeur l’existant afin de le transmettre aux générations suivantes.
Quelles sont les différentes phases d’un projet de restauration ?
Chaque projet débute par la découverte du bâtiment. En d’autres mots : par une phase d’observation et d’analyse, de relevés mais aussi de recherches dans les archives de plans, d’iconographies, de correspondances, etc. Ce diagnostic nous permet d’identifier les éléments de valeur et d’imaginer le projet de restauration. Pendant plusieurs mois, le projet de restauration mûrit et se définit en détail. On choisit, pour finir, une équipe d’entreprises qualifiées avec qui nous œuvrerons côte à côte lors de la réalisation du projet jusqu’à la réception des travaux.
Avec quels métiers d’art collabores‐tu au quotidien ?
Je considère que tous les métiers que je côtoie sur les chantiers sont des métiers d’art, les artisans comme les compagnons : le maçon, le couvreur, le charpentier, le menuisier, le serrurier, le maître verrier et beaucoup d’autres métiers encore. Les éléments sculptés ou bien encore les décors font souvent partie intégrante du monument. A ce titre, j’ai par exemple travaillé avec les restaurateurs de sculptures en pierre et de marbre au chantier de la Colonne de Juillet. Pour la restauration d’hôtels particuliers parisiens, j’ai en revanche travaillé avec les restaurateurs des décors peints, les doreurs, les stucateurs et les tapissiers. Chacun est porteur d’une connaissance approfondie des techniques traditionnelles, d’une formation et d’une expérience unique. Ces détenteurs de la mémoire vivante, d’un savoir‐faire remarquable – comme par exemple le menuisier fabricant les menuiseries traditionnelles du XVIIIe siècle ou les maîtres verriers des vitraux à l’image de ceux du XIIIe siècle – me passionnent.
Les dessous cachés du métier ?
Les choix obligés face aux financements.
Tes moments frissons ?
J’en ai eu plusieurs mais, pour n’en citer que quelques‐uns :
- La joie d’amener ma mère dans la galerie des Glaces déserte du Château de Versailles ;
- Ce sentiment, un peu fou, lorsque j’ai en mains les clés d’un monument mille fois vu auparavant sans jamais m’être imaginée alors devoir un jour y travailler. D’une certaine manière, on fait connaissance à nouveau.
Il y a eu aussi des instants d’une grande intensité, comme marcher dans le salon d’honneur de l’hôtel de la Marine et entendre le carillon des cristaux des grands lustres.
Tes plus belles découvertes lors d’un chantier ?
Chacun de mes projets est plein de découvertes : sur l’histoire du bâtiment, de ses habitants et de ses usages, mais aussi sur les techniques de construction utilisées à l’époque ou bien la provenance des matériaux. Enfin, on rencontre sur le chantier de nombreuses personnes porteuses d’un grand savoir‐faire, des artisans auprès desquels j’apprends énormément. Sur mon premier chantier de restauration d’un hôtel particulier, il y avait une chambre dont les décors peints du XVIIème siècle ont été retrouvés intacts sous la peinture unie banale. Ces décors sublimes de rinceaux et d’arabesques, de vases de fleurs et de paysages pittoresques, ont été dégagés au scalpel et restaurés par une restauratrice.
Quel a été le chantier le plus demandant pour toi, et pourquoi ?
Les chantiers les plus difficiles sont les chantiers en site occupé (lieux de culte, bibliothèque, école, etc.) et les chantiers dans les institutions d’État en raison des contraintes de sécurité renforcées. Cela demande une organisation et une coordination sans failles des nombreux intervenants… l’architecte étant le chef d’orchestre !
Designers, artistes, écrivains, architectes : quels sont ceux qui t’inspirent ?
J’ai été pour ainsi dire noyée dans l’art dès mon plus jeune âge, à la fois de façon active et passive, à la fois créatrice et spectatrice. Pour moi, l’art c’est comme l’air. J’adore les endroits dédiés à la création, les résidences d’artistes et les galeries d’art. Voici
ma shortlist pour Regart :
- La Villa Médicis, l’Académie de France à Rome créée en 1666 par Louis XIV, qui a pour
mission l’accueil d’artistes pour leur permettre de poursuivre leurs travaux et
recherches ;
- La Fondation Fiminco, à Romainville ;
- La Galerie Thaddaeus Ropac, à Pantin ;
- La Galerie de Sèvres, vitrine de la création d’aujourd’hui de la manufacture de Sèvre,
à Paris ;
- La Galerie Leage, spécialisée dans le mobilier et objets d’art du XVIIIe siècle, à Paris ;
Je suis aussi particulièrement attirée par :
- La photographie argentique, notamment par les sujets marginaux de Diane Arbus ou les compositions géométriques et les prises de vue inattendues d’Aleksandr Rodchenko. La composition du cadre, le rapport d’ombre et de lumière, les tons et les demi‐tons, ce sont des notions qu’on retrouve également en restauration ;
- L’artiste JR avec ses immenses photos exposées librement en milieu urbain. Son projet à Ellis Island, aux États‐Unis, m’a beaucoup touché ;
- Le premier film d’Agnès Varda, jusqu’alors photographe, « La Pointe Courte » ;
- Les ballets de Pina Bausch ;
Et puis à côté de ça, mon kiff ce sont les tapisseries du XVIe‐XVIIIe siècles.
Quel livres recommanderais‐tu pour découvrir plus en détails ton métier ?
Pour la réflexion autour de la notion du monument historique : L’allégorie du patrimoine, de Françoise Choay. D’un point de vue historique : Versailles, La fabrique d’un chef‑d’oeuvre, d’Alexandre Gady. Enfin, du côté littéraire : Les pierres sauvages, de Fernand Pouillon.