Loin d’un artisanat de caractère, la thèse en géo‐physique de Gabriel le destinait à de toutes autres perspectives : à un poste dans la recherche fondamentale ou au sein de groupes pétroliers. En d’autres mots, entre une carrière à la fois précaire et trop éloignée de la réalité à son goût ou, à l’inverse, contraire à ses valeurs. L’idée d’une reconversion professionnelle a pour ainsi dire fermenté toute une année : une année de rencontres et de stages chez des paysans‐boulangers afin de trouver une cohérence entre ses possibilités et ses valeurs. Pour ce passionné de fermentation, l’évidence éclot bientôt : devenir artisan boulanger, mais selon ses propres règles.
C’est en plaçant l’écologie et l’humain au cœur de son artisanat que Gabriel trouve l’équation tant recherchée et peut enfin allier passion, valeurs et convictions. De l’écologie d’abord, puisqu’il travaille avec des semences anciennes et s’inscrit, à travers des cultures cohérentes, dans une démarche respectueuse de la terre. De l’humain enfin : il propose du pain au levain, nourrissant et bien plus digeste pour l’homme, travaillé à la main et chauffé au bois dans son atelier en plein air, sans électricité et construit de ses propres mains. Pas de surplus enfin : le pain est produit sur commande uniquement et les circuits courts sont privilégiés, puisqu’il assure lui‐même la distribution.
C’est à Dry, au sud d’Orléans, que Gabriel choisit de lancer Au levain du jour, sa boulangerie au levain naturel. En résulte une évidence : les pains créés par Gabriel font l’effet d’une madeleine de Proust aux plus anciens qui retrouvent le goût et la texture des pains traditionnels. Des pains, nourrissants et digestes, qui accompagnent un joyeux art de vivre.
Rencontre avec Gabriel Huot, artisan boulanger
Gabriel, le levain est la plus ancienne technique connue pour obtenir du pain levé, et il est resté la seule jusqu’au XVIIe siècle. Peux‐tu nous expliquer ses particularités ?
Le levain est un simple mélange de farine et d’eau qui fermente avec les bactéries et levures sauvages présentes dans l’air et dans la farine. Le pain a un goût plus complexe, plus ou moins acide selon la façon dont est travaillé le levain. La conservation est de plusieurs jours à une semaine. Il est prédigéré par le levain donc très assimilable par l’organisme.
Pourquoi (presque) plus personne ne fait du pain au levain en France ?
Le levain est complètement absent des formations classiques en boulangerie. La levure fait en effet gonfler le pain plus vite et est plus facile à utiliser, caractéristiques non négligeables dans une société de l’immédiateté. Les savoir‐faire concernant le levain ont été perdus. Une seule formation diplômante, délivrée par l’École internationale de boulangerie, est proposée en France avec utilisation de levain. Le levain revient au goût du jour car il présente des intérêts nutritionnels incomparables, un goût bien plus complexe et intéressant qui dépendra de chaque boulanger.
Ressusciter le savoir‐faire d’antan (pain au levain, travaillé à la main et chauffé au bois) allié à une empreinte écologique la plus minime possible, c’est tout l’enjeu de ta démarche. Quelle en a été la réception ?
Les gens prennent la démarche avec beaucoup d’enthousiasme et de curiosité. Cela peut paraître, pour certaines personnes, un peu fou de pétrir à la main. En réalité, c’est tout à fait faisable et agréable.
Quel a été le principal challenge à relever lors de ta reconversion professionnelle ?
Le principal challenge était de bien comprendre mes envies profondes (comment je veux travailler, où, avec qui, etc.), identifier les outils et l’environnement qui allaient permettre le lancement du projet. Le but est d’être heureux dans ce que l’on fait pour garder l’enthousiasme et tenir sur le long terme et donc chaque choix, chaque détail peut avoir un impact.
Peut‐on espérer voir plus d’initiatives similaires dans les prochaines années ?
Je le pense. De plus en plus de gens se lancent : j’en rencontre régulièrement qui viennent me voir afin de discuter et d’échanger sur nos expériences respectives.
Un message à faire passer ?
Les enjeux majeurs de nos sociétés vont tourner autour de l’eau, l’alimentation et l’énergie. L’agriculture paysanne a un rôle majeur à jouer, il faut absolument soutenir les porteurs de projet qui reviennent à des fermes à taille humaine, qui utilisent des semences libres, sans intrants, et qui nourrissent les sols. C’est ce type de structures, plus résilientes au changement climatique, peu impactées par la finance internationale et sobres énergiquement, qui pourront nourrir la population dans le futur.
Que peut‐on te souhaiter de mieux pour l’année à venir ?
Avoir suffisamment d’énergie pour continuer à améliorer le projet : mettre en place un four solaire, utiliser plus de farine de blés paysans, encourager d’autres projets, et toujours plus de collaborations et de partages !