Chorégraphie des mains, éveil des sens, joutes avec la matière, enfin et surtout un « apprentissage par corps » et de cœur, c’est ainsi que se révéla la céramique à Edith Molina. Un virage professionnel à 180 degrés qui s’offrit à elle tel un « boulevard tracé par les étoiles », sourit‐elle en toute humilité.
Juin 2017. Le contrat de travail d’Edith dans un label de musique touche bientôt à sa fin et, bien qu’une possibilité de prolongation se dessine peu à peu, Edith ressent le besoin de combler ses manques, à commencer par celui de la créativité. Par chance, au même moment, une place dans un cours de céramique vient à se libérer. Pour elle, c’est une révélation. Chaque cours ne fait que confirmer davantage l’évidence : « Ça m’est tombé dessus » souffle‐t‐elle, « Il y a vraiment un truc, là ! ». S’ensuit une semaine de cours intensifs où elle ose enfin le questionnement sur une possible reconversion professionnelle. Les jalons s’échelonnent alors dans un timing parfait – ce fameux boulevard des étoiles – car c’est en quatre mois seulement qu’Edith quitte son poste, sa vie parisienne et entame une nouvelle vie dans le sud de la France et dans l’école de son choix, en vue de devenir artiste céramiste.
Travaillant aujourd’hui principalement le grès – un type d’argile cuisant à haute température – et utilisant les émaux issus de ses propres recherches, elle ouvre son atelier de céramique, l’atelier xodó, à Montreuil. Outre la création de séries limitées, Edith propose des cours et des stages de tournage, sa technique de prédilection, et approfondit sa recherche d’émaux de haute température.
Émaux : « Couleurs vitrifiables, d’origine minérale, posées sur une céramique et fixées à l’aide d’un fondant par une seconde cuisson. »
définition des émaux TELLE QUE DONNÉE PAR larousse
Rencontre avec Edith Molina, artiste céramiste
Bonjour Edith, peux‐tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Edith, j’ai 33 ans. J’ai obtenu mon CAP tournage à l’École de Céramique de Provence à Aubagne, avant de suivre une formation sur les émaux de haute température à ATC (Arts et Techniques Céramique) à Paris. Les deux années qui ont suivies, j’ai pratiqué dans un atelier partagé avec l’objectif de mettre au point quelques gammes et couleurs. Depuis quelques mois maintenant, j’ai mon propre atelier à Montreuil, en Seine‐Saint‐Denis. Reconversion professionnelle, donc, puisqu’au départ, j’ai étudié la médiation culturelle et le théâtre, à Paris et à Nantes. Je travaillais d’ailleurs dans un label de musique du monde en tant que chargée de production et communication lorsque j’ai découvert la céramique.
Peux‐tu nous expliquer la différence entre les émaux de haute et basse température ?
En fait, la distinction principale se joue surtout au niveau de l’argile : il y les argiles qui cuisent à haute température et celles qui cuisent à basse température. Les émaux, eux, doivent s’adapter à l’argile puisque c’est le support (et on ne voudrait pas qu’il fonde, ce support !). Les argiles qui cuisent à basse température, comme la faïence, ont besoin de ces émaux afin d’assurer leur étanchéité. En revanche, les céramiques de haute température, comme le grès ou la porcelaine, n’en ont pas besoin. On les recouvre néanmoins pour l’aspect pratique du lavage mais surtout pour une raison purement esthétique : ce revêtement – l’émail – apporte couleur, brillance, effet satiné ou mat. Cela permet un jeu infini en termes d’aspects et de touchers.
Tu consacres beaucoup de temps à la recherche d’émaux. Peux‐tu nous expliquer comment tu procèdes ?
Un émail céramique est un verre composé d’alumine, de silice, et d’autres oxydes. La bonne fusion d’un émail va dépendre des proportions de ces différentes composantes. Il faut donc, à partir de formules molaires, tâtonner et « naviguer » dans le diagramme de phase – une sorte de carte ou de boussole de potier si l’on veut – afin de trouver le meilleur rapport entre alumine et silice et ainsi obtenir à la fois une bonne fusion et un beau rendu d’émail.
Quelles sont les différentes étapes de création d’une pièce ?
Tout d’abord, il faut battre l’argile pour enlever les bulles et faire en sorte qu’elle soit le plus malléable possible. On prépare ensuite une série de balles de terre : c’est une étape qui demande pas mal d’énergie !
Moi, ma technique de prédilection, c’est le tournage. Cela requiert à la fois concentration et endurance physique. Le dialogue qui s’établit alors entre l’argile et nos mains devient magique ! Une fois les pièces façonnées, il faut attendre quelques jours pour qu’elles se raffermissent et que l’on puisse passer à l’étape dîte du tournassage : c’est à l’aide d’outils tels que les mirettes et les tournassins que l’on finit le pied de la pièce, enlève le surplus de terre, épure les lignes et souligne les courbes. Vient ensuite le moment de rajouter, si l’on souhaite, des becs ou des anses sur le corps de la pièce, lorsque la terre est à « consistance cuir ». On emballe ensuite les pièces. L’objectif ? Un séchage doux et homogène. Une fois ce processus achevé, les pièces doivent passer par une première cuisson, « le dégourdi », à 980 °C. Vient alors l’étape de l’émaillage : cette fois‐ci, les pièces cuisent à 1250 °C !
Comment abordes‐tu le processus de création ?
Lorsque j’imagine de nouvelles pièces, qu’une idée me vient ou qu’une forme m’émeut, je griffonne des petits croquis sur tout ce qui me tombe sous la main : sur des carnets, des tickets de caisse, etc. Une fois les dessins techniques réalisés, je façonne des prototypes au tour, en déclinant en quelques variations de forme, de taille, etc. Si le résultat me plaît, et que le modèle s’avère pratique et sans défaut, débute alors la création d’une série limitée.
Comment travailles‐tu les matières, les couleurs ?
J’aime travailler des argiles lisses mais aussi des argiles chamottées (la chamotte, c’est de l’argile cuite, broyée et réintroduite dans de la terre). Cela donne un aspect granuleux et irrégulier à la surface des pièces. J’apprécie les contrastes entre les parties émaillées tantôt lisses et douces et le grain, les aspérités de la terre rugueuse. Je laisse aussi souvent la terre brute car je trouve que le dialogue avec l’émail est intéressant.
Pour ce qui est des couleurs, elles proviennent soit de la couleur de l’argile, soit des émaux. J’ai mis au point un jaune moutarde et un vert moucheté dont je suis folle. J’essaie d’agrandir la palette petit à petit.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Je crois que je glane de l’inspiration à droite et à gauche : dans la ville, les bâtiments, l’architecture. Je fais notamment une fixette sur les châteaux d’eau et les lignes courbes ou bien tranchées comme en jouait l’architecte et designer brésilien Niemeyer.
Les ateliers de céramique sont très courus depuis quelques années. Que recherchent donc les gens qui viennent à tes ateliers ?
Je pense que les gens recherchent le contact avec la matière car beaucoup de choses sont dématérialisées aujourd’hui. Je crois aussi qu’ils veulent se changer les idées, se re‐centrer et quoi de mieux que le tournage puisque la première étape est en effet de centrer la terre sur la girelle !
Quelles sont les réalités du métier que l’on ne voit pas au premier regard ?
C’est un métier physique, qui mobilise beaucoup le corps et requiert à la fois motricité fine et endurance. Il y a, par ailleurs, énormément d’étapes et de nombreux écueils à éviter. A la fin des stages, de nombreux élèves me disent qu’ils ne regarderont plus jamais la céramique de la même manière !
Quel livre recommanderais‐tu pour découvrir plus en détails ton métier ?
Le poème Céramique de Daniel de Montmollin : il présente les différentes dimensions du métier de potier et est à la fois très poétique et extrêmement pertinent. Daniel de Montmollin a par ailleurs développé une méthodologie de recherche pour les émaux de cendre et de grès qu’on utilise beaucoup en France.
Et pour finir, tes souhaits pour ces prochaines années ?
J’aimerais, d’une part, continuer à développer ma palette d’émaux, mettre au point de nouvelles couleurs ainsi que de nouvelles collections et d’autre part, continuer à donner des cours de tournage et des stages. J’aime transmettre ce goût pour la céramique et ce sont des moments très conviviaux, on rigole beaucoup avec les élèves ! Je suis fière des progrès qu’ils font et je suis contente de voir leur sourire quand ils récupèrent leurs pièces ! Enfin, j’aimerais augmenter un peu mon volume de production et pouvoir coopérer avec plus de boutiques, peut‐être même participer à quelques salons, à voir !